Menaces sur les écrans : la représentation du vautour au cinéma
Mardi dernier, les histoires conjuguées du cinéma et de l’environnement se sont enrichies de notre conférence animée sur la place des vautours dans le septième art. Si la sélection fut longue et ardue, le résultat s’avéra au dessus de toutes nos espérances. La preuve avec les commentaires passionnants, drôles ou acerbes de deux experts (largement secondés par un groupe aux aguets ) des charmants volatiles qui planent bien haut dans le ciel floracois après des décennies de combat pour leur réintroduction et l’amélioration de leur image. Non seulement ils ont accepté de commenter les séquences les plus fantasques, mais ils ont en plus étrillé les apparences et préjugés véhiculés par l’industrie du cinéma.
Ces 80 petites minutes auront permis de se souvenir de l’image néfaste qu’il nous faut encore gommer dans l’inconscient collectif, grâce à l’apport des cinémas du sud, nettement plus favorables au rôle écologique joué par les majestueux rapaces.
Comme chacun le sait, c’est le cinéma d’animation qui réserve le meilleur sort à ces oiseaux, les studios Disney notamment, qui ont eu tôt fait d’utiliser leur look cartoonesque dans de nombreux dessins animés ; parmi ceux-ci, Le livre de la jungle eut la belle idée de les doter du chant harmonieux des quatre garçons de Liverpool pour consoler le petit Mowgli. Il est vrai que le vautour cévenol exerce encore une réelle fascination sur les enfants lozériens d’aujourd’hui. Un peu d’émotion pour cette introduction décalée à la soirée présidée par Guillaume !
Il fallut donc remonter aux premiers âges grâce à la magie et au talent de plasticien de Willis O’Brien, père de l’animation en stop motion américaine et qui mit à profit son passé de guide pour les paléontologues pour recréer tout un florilège de créatures préhistoriques dans ses courts métrages des années vingt. Si le volatile qui toise King Kong dans la version originelle de 1933 n’est que peu fidèle aux dimensions qu’atteignirent ces ancêtres d’alors (une quinzaine de mètres d’envergure), il est néanmoins fort cinégénique pour son époque. La soirée démontra que les studios hollywoodiens firent également peu de cas du cri de ces oiseaux. Des années 30 aux années 50, des charniers d’Atlanta à la Birmanie occuppée par les japonais, de la savane qui s’étend au pied du Kilimandjaro aux cimetières haïtiens où se pratiquent les rites vaudou, se fait entendre un concert de chants ou cris les plus fantaisistes.
On ne trompe pas l’oeil de spécialistes aussi acéré que l’oiseau de proie qu’ils étudient. La démystification du classique d’Henry King permit de montrer que même au fin fond de l’Afrique, le grand art du cinéma américain est d’abord de maquiller la réalité à grand renfort d’oiseaux mécaniques et de décors de fond. Du grand art de la suggestion… La menace est telle que tous les spectateurs s’imaginent toujours chaque western peuplé de vautours carnassiers, quand ils se tiennent juste bien tranquilles dans un coin du cadre de La horde sauvage dans l’attente du grand finale.
Pur fantasme… l’oiseau est tellement inquiétant qu’on le chasse (Les fantômes de Goya) pour le manger quand on ne le croque pas à belles dents (Conan le barbare qui n’a jamais si bien porté son nom!). Heureusement que restent les cinématographies asiatiques et latino-américaines pour redorer le blaon de nos vautours préférés. Que ce soit sur le plan symbolique (la liberté pour le poète homosexuel qui tente de survivre dans la colombie ultraviolente de La vierge des tueurs), ésotérique (les images cryptées de Jodorowsky) ou dans une approche plus documentaire (Le voleur de chevaux, classique chinois de Tian Zhuang Zhuang plutôt que le tiédasse Chien jaune de Mongolie et sa dramaturgie aussi racoleuse que mensongère), le vautour est enfin vu depuis les trente dernières années comme un précieux auxilliaire pour débarrasser le paysage de nos restes humains (funérailles célestes tibétaines mais aussi charniers africains) et de nos décharges en milieu péri urbain. Que le voyageur qui n’a pas croisé ces grands oiseaux noirs au ventre rebondi près des villages envahis par les déchets, s’en vienne dire le contraire !!
La soirée s’achevait moins sur la vision américanisée de Kundun que sur le splendide film que Michel Terrasse a consacré aux vautours après quinze ans d’images glanées ça et là. Le retour de Bouldras est tout simplement l’un des plus beaux films animaliers jamais réalisés et qui n’a donc rien perdu de sa magie ou de son sens de l’observation. Ses collaborateurs venus en masse firent d’ailleurs des commentaires émouvants sur une aventure humaine également exceptionnelle.
Conclusion, le cinéma de fiction peut donc être un outil précieux pour dialoguer avec les habitants d’un territoire. Et on peut même imaginer qu’il sera un jour le médiateur nécessaire dans le conflit brûlant qui oppose les éleveurs aux partisans de la réintroduction du loup. En attendant, en réintroduisant le vautour au cinéma, puis un zeste de cinéma dans le vautour, de la science dans la fiction et enfin de la lecture dans l’image, on déjà découvert, tous ensemble, l’utilité d’être plus que jamais attentifs aux images qui nous cernent comme aux oiseaux qui nous veillent.