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La Nouvelle Dimension Voir sur la carteDans un si petit pays, l’étroitesse du marché national fait que le cinéma des Pays-Bas fut longtemps caractérisé par une préférence pour le cinéma du réel. Par la suite, la barrière de la langue empêchera souvent les films d’être montrés au-delà des frontières.
Si le premier film date de 1898 (La famille royale), le pionnier le plus important est l’innovateur Willy Mullens (Les mésaventures d’un gentilhomme français sans pantalon à la Plage de Zandvoort, 1905). Avec la construction des studios de la Hollandia en 1911-1912 et la création de la Dutch films en 1923, éclot un cinéma de fiction à raison de huit films par an à l’époque du muet. De nombreux réalisateurs allemands viennent y travailler durant le premier conflit mondial. Mais le tournant historique du cinéma hollandais vient avec les premiers films d’un futur géant du documentaire, Joris Ivens (Le pont, 1928 ; La pluie, 1929 ; Zuyderzee, 1930). Très important aussi, le groupe Visie avec Max De Haas pour Ballade du chapeau haut de forme (1938) ou les films de Gérard Rutten (Les eaux mortes,1934 ; Terre neuve, 1933) sur le pays et ses éléments naturels.
Une trentaine de fictions seront tournées dans les années 30 (et parlantes à partir de 1934), essentiellement des Jordaanfilms, genre de comédies plutôt enlevées et situées dans la petite bourgeoisie issue du quartier du Jordaan à Amsterdam. Ces films très typés avaient un grand succès auprès du public local, même si souvent tournées par des étrangers. La production reste modeste de 1945 à 1965 (3 films par an).
Heureusement, un renouveau vient grâce à l’école documentaire avec Bert Haanstra : Miroir de la Hollande, 1951 ; Monsieur tout le monde (1963), un des films les plus populaires de tous les temps car vu par un hollandais sur cinq, mais aussi les films de John Ferno ou Herman Van der Orst ( Houen zo !, 1952, court sur la reconstruction de Rotterdam). Puis une première mutation se produit toujours avec Haanstra qui, dès 1958, tourne une fiction burlesque, Fanfare, second meilleur score de tous les temps au box office ! On peut aussi jeter un œil aux films sur l’enfance de Henk van der Linden comme ces aventures de Dick Trom (1958) ou de Pietje Bell (1964). Mais l’auteur le plus important sera sans conteste Fons Rademakers qui sait peindre les paysages dans Un village au bord de l’eau (1958). Il travaille par la suite avec l’écrivain et cinéaste flamand Hugo Claus ou adapte d’autres chefs d’œuvre de la littérature hollandaise comme pour Comme deux gouttes d’eau (1963). Il obtiendra l’oscar du meilleur film étranger pour The assault (1986).
La génération du début des années 60 veut rompre avec l’école documentaire. Si certains se tournent vers l’international pour des films d’inspiration nettement américaine, la génération pop va imposer Amsterdam comme capitale européenne des sixties (le peintre Wim van der Linden, le photographe Sanne Sannes (Dirty girl, 1967). Un cinéma débarque à la suite du mouvement libertaire Provo (dès 1965) qui se veut écologique, antimonarchiste et anti-impérialiste. Pim de la Parra et Wim Verstappen imposent la contre-culture dans les médias et tournent des films très populaires (Joseph Katus Provo (1966) ou Les furies (1976). Verstappen s’engage dans la libération sexuelle avec Blue movie (1971), gros succès public qui finit d’achever la censure hollandaise. Pim de la Parra traitera de la libéralisation des mœurs dans le voyeuriste Obsessions (1969) ou plus sociologique (Scènes de la vie amoureuse d’un couple, 1973). Mais l’auteur le plus tendu et singulier de la période est Adrian Ditvoorst ( Paranoïa,1967 ; Antenna, 1970 où Pierre Clementi débarque dans une communauté religieuse stricte, Le photographe aveugle, 1973 ou l’étrange De Mantel Der Liefde,1978). Enfin, Paul Verhoeven deviendra le grand réalisateur de la décennie 70 avec le chef d’œuvre Turkish delices (qui révèle un acteur au charisme magnétique, Rutger Hauer) puis tourne les films historiques Katie Tippel (1975), Soldat d’Orange (1977), le paillard La chair et le sang (1985) ou le surréaliste Quatrième homme (1983). Apparaît aussi George Sluizer venu du documentaire dont on retient l’inquiétant L’homme qui voulait savoir (1988) avec Bernard Pierre Donnadieu et l’excellent Jos Stelling (le très barré Mariken van Nieumeghen,1974, le superbe Rembrandt fecit 1669 (1977), mais aussi avec L’illusionniste (1983) ou L’échangeur (1986), remarqués par leur travail sur le son et la couleur. Le peintre Paul de Lussanet se démarque aussi avec le curieux Mysteries (1978) avec Rutger Hauer et Sylvia Kristel. Enfin, Amsterdan devient la plaque tournante du porno de qualité (Sensations, 1975 avec Brigitte Maier, Body love, 1978 de Lasse Braun). Même la télévision néerlandaise expérimente et programme le proche de Fluxus, Wim Schippers (Stemmem,1972).
Une nouvelle génération apparaît dans les années 80 avec le film rock Cha Cha (Herbert Curiël, 1979) écrit et interprété par une incroyable Nina Hagen et la rock star hollandaise Herman Brood. Tandis que Pieter Verhoeff tourne un drame historique rural dans cette grande tradition esthétique hollandaise qui magnifie la lumière naturelle (La marque de la bête, 1980), Erik de Kuyper opte lui pour un cinéma en noir et blanc, très formel et sur l’homosexualité (A strange love affair, 1984). Né aux Antilles néerlandaises, Félix de Rooy montre la condition des noirs dans Désirée (1984). C’est aussi l’explosion du contestataire et ambigu Théo Van Gogh (Retour à Oegstedt,1987 ; False light,1987 où un jeune étudiant tombe amoureux d’une prostituée du Quartier Rouge), jusqu’à son pamphlet Submission, (2004), plaidoyer pour le droit des musulmanes à disposer d’elle même qui entraîne son assassinat. L’auteur le plus important restera Alex van Warmerdam qui poursuit la tradition surréaliste (Abel, 1986 ; Les habitants, 1992 ; La robe, 1996), le déroutant Borgman (2013) ou le thriller La peau de Bax (2015).
Le thème de la guerre est toujours très présent quelles que soient les générations, de La fille aux cheveux roux (1981) de Ben Verbong à Black Book (Paul Verhoeven, 2006, avec l’affolante et incontournable Carice Van Houten). Dick Maas remporte un succès international avec l’excellent film d’ascenseur hanté (L’ascenseur, 1983), puis le thriller aquatique Amsterdamned (1988), avant de ressuciter avec le slasher populaire Saint (2010) sur un très vilain St Nicolas. N’oublions pas le moyen format Oeuf (Danniel Danniel, 1987) primé à Fantasporto ou l’horrifique The Johnsons (Rudolf Van den Berg,1992). Apparaît aussi une seconde génération de réalisatrices tournées vers le féminisme (Marleen Gorris, Oscar en 1995 pour Antonia et ses filles, Mady Saks, Annette Apon avec le très beau Giovanni (1983), quand d’autres tournent des thrillers noirs (La proie, Vivian Pieters,1986).
Dans le documentaire, Johan Van der Keuken s’impose après une première période consacrée à l’enfance et aux expérimentations (le génial Beppie (1965), avec des film à la première personne construits autour de l’absence, du vide (La route vers le sud, 1981, La jungle plate (1978)… Une œuvre diverse mais monumentale ! Si l’animation était née grâce à Phillips et aux Puppetoons (1934-1939) de George Pal, elle évolue à la fin des années 60 avec Borge Ring, Paul Driessen ou Co Hoedeman (le superbe Le château de sable, tourné avec l’ONF au Canada en 1978). Aujourd’hui, Michael Dudok de Wit, suite à son oscar du court-métrage (Père et fille, 2000), continue cette veine côtière et s’est imposé avec La tortue rouge (2016).
Une nette baisse des entrées a lieu dans les années 90. Débarquent le très arty Paul Ruven (How to survive a broken heart, la comédie musicale Maria Machita, tous deux en 1991), également coscénariste du moyen-métrage culte Alaska (1989) de Mike van Diem ( lui aussi oscar 1997 pour le drame historique Karakter). L’expérimentateur sud africain Aryan Kaganof navigue entre Japon et Hollande et tourne le très barré Wasted (1996) sur le clubbing et la drogue ou le célèbre Ten Monologues from the Lives of the Serial Killers (1994) sous le pseudo de Ian Kerkhof. Lodewijk Crijns livre à l’Etrange festival une fiction démente sur une communauté fanatique, Jesus was a palestinian (1999).
Sinon l‘époque est dominée par une lumière crue et les couleurs vives en extérieur et par les films traitant de faits de société : Simon (2003) sur le mariage gay et l’euthanasie, la comédie Hush hush baby (2004) sur les descendants d’immigrés marocains). L’autre sujet qui polarise le public est l’adolescence la comédie romantique Costa ! (Jan Nijenhuis, 2001) ou le Little bird (2012) de Boudewijn Koole. Coté filles, Zommer (2014) de Colette Bothof nous fait partager la passion d’un couple lesbien et La dérive ( Michiel van Jaarsveld, 2001) s’attache à une ado diabolique. Dans le très important genre local de film pour enfants depuis Ciske de rat, soulignons le travail fantasque de Ben Sombogaart (Het zakmes, 1991 ; Abeltje,1998). Côté comédie, on retient la version locale de Projet X (Fissa, 2016), la teen comedie High school girls ( du même Nick Jongerius, 2017) ou le ton décalé de Ron Goossens low stuntman budget (2017), par les auteurs des mémorables New kids turbo (2010) et du fast and furiousesque New kids nitro (2011).
La tradition historique perdure. Spécialisé dans les suites américaines improbables et les budgets exsangues des DTV, Roel Reiné rentre au pays pour tourner le superbe biopic de Michiel de Ruyter, Amiral (2015) second plus gros budget du cinéma hollandais puis affole le box office avec Vikings, l’invasion des francs. Côté film maritime, Reinout Oerlemans réouvre la route des Indes dans Conquest (2011). Le genre historico catastrophe fait lui le succès du très classieux The storm (2009) de Ben Sombogaart. Martin Koolhoven débute avec des films étranges (The cave, 2001) mais quitte le pays pour Hollywood. La Hollande cultive ses instincts basiques dans le thriller (l’érotique Loft (2010), le dystopique Boy 7 (Lourens Block, 2015). Puis, la Nederhorror s’impose peu à peu (le torture porn Claustrofobia (2011) de Bobby Boermans, la comédie zombiesque Zombibi ( Erwin van den Eshof, 2012) ou encore le film de fantômes Two eyes staring (Elbert Van Strien, 2010). Le cinéma extrême hollandais rivalise avec le trash allemand, d’abord avec la trilogie à scandale de Tom Six (Human centipede, 2009) ou dans les films polémiques de l’agitateur Cyrus Frisch, détournant des procédés de téléréalité pour traquer les marginaux et autres malades (Forgive me, 2001 ). En 2009, son Dazzle avec Rutger Hauer est «un thriller rappelant Répulsion avec l’esthétique d’un documentaire de Chris Marker » selon Indiewire. Enfin, Terrorama (2001) d’Edwin Brienen, ex comparse de télévision de Van Gogh (qui y joue un fanatique religieux), se voit boycotté par le Nederland film festival (mais primé à Rotterdam et Toronto). Il remet le couvert pour Liebenspornografie (2004) avec le français Jean-Louis Costes.
La sexualité continue de passionner les esthètes Victor Nieuwenhuijs et Maartje Seyferth révélés avec Venus in furs (1996), Lulu (2005) d’après Maupassant, Crepuscule (2009), le très cru Meat (2010) ou le brutal Cat and mouse (2015). Stephan Brenninkmeijer réalise Swingers (2002) sur l’échangisme et Joost van Ginkel le très sensuel 11 herz (2011). Puis la grande actrice Monique van de Ven tourne un Summer heat (2008) plutôt corsé. Enfin l’artiste Stefan Ruitenbeek s’est intéressé au croisement du porno et du film d’art dans un hallucinant Ancient amateurs (2012).
Si on ajoute à ces genres particuliers, le travail du très créatif duo de web art JODI ou le vidéaste de Groningen, Aernout Mik ( le très politique Training ground, 2007), voilà un panel de créateurs suffisamment vaste pour garder la culture hollandaise fertile !