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Lieu
La Nouvelle Dimension Voir sur la carteDu Nunavik à la terre de feu, les indiens d’Amérique par leurs films
Parce qu’ils ont été militairement vaincus puis colonisés, autrement dit pillés économiquement, expropriés systématiquement, réduits en esclavages ou exterminés, les populations indiennes ont accédé très tardivement à l’art cinématographique.
Pourtant vers 1910, on embauchait encore des acteurs indiens pour jouer leur propre rôle avec une représentation plutôt positive. Il faut notamment mentionner les longues carrières hollywoodiennes du métis James Young Deer ( The Cheyenne’s girl, White Fawn’s Devotion (1910), premier film tourné par un amérindien ) et d’Edwin Carewe, acteur puis réalisateur chickasaw ( Evangeline,1929). Dans le Mexique post-révolutionnaire, « El indio » Emilio Fernandez adapte lui Bernard Traven dans le féroce La révolte des pendus.
Logiquement, les pays à plus forte population indienne accéderont plus tôt au cinéma (Bolivie, Pérou). Au Pérou, après Runan Caycu de Nora de Izcue (1973) sur la lutte pour la réforme agraire viendra Kuntur Wachana (Où naissent les condors, 1977), produit par plusieurs coopératives paysannes avec un scénario écrit en assemblées populaires pour un mélange entre témoignages et fiction. Issu du ciné-club de Cuzco, Federico Garcia Hurtado fonde le grupo Kuntur avec la productrice Pilar Rocca ( Laulico, 1979, Huayanay en 1980 sur la justice communautaire). Aux Etats-Unis et au Canada, après les précurseurs ( Mike Kentakeron Mitchell, You’re on indian land 1969) au sein de l’équipe indienne de l’ONF viendra la grande documentariste Alanis Ombomsawin qui réalisera plus de 50 films (Kahnasetake, 1993). Le réveil politique des années 90 (mouvement intercontinental 500 ans de résistance), va de pair avec la démocratisation de la vidéo et les luttes emblématiques d’Oka au Québec ou le soulèvement du Chiapas. Le cheyenne et arapaho Chris Eyre tourne aux Etats-Unis plus d’une dizaine de films (Phoenix Arizona) dont un projet à l’échelle continentale ( A thousand road, 2005).
Les films sur les résistances (The snowball effect du songwriter punk navajo Klee Bennally ) ou de la défense de l’environnement (le film expérimental Bloodland ) se développent dans toutes les communautés mexicaines, chez les Lakotas, les Mapuches du Chili ou dans toute l’Amazonie. À chaque fois, on retrouve le questionnement identitaire (Reel Injun (2009) du cree Neil Diamond sur la représentation des indiens dans le cinéma hollywoodien), l’éternel conflit entre tradition et modernité ( Les chansons que mes frères m’ont apprises de Chloé Zhao ), l’empowerment, le retour aux sources et la transmission des traditions, l’alcoolisme (Mesnak, d’Yves Sioui Durand), l’avenir des jeunes, les violences faites aux femmes et surtout au Canada, le scandale des abus sexuels systématiques et disparitions d’enfants à grande échelle dans les institutions anglicanes (In older America de Georgina Lightning, Honor my father (2008) du réalisateur cree Gérald Auger, Rhymes for young ghouls du mik maq Jeff Barbaby, The blanketing, 2013 ou Clouds of autumn, 2015 du jeune Trevor Mack). Les orientation sexuelles sont aussi très discutées chez les femmes comme chez les hommes avec le Deep inside Clint star (Chris Alberta 1999) documentaire nourri d’expérimental « influencé par Freud, Matisse et le porno ».
Au Canada et aux Etats-Unis, la grande majorité des films sont réalisés par des femmes : l’inuit Nyla Innuksuk, la chanteuse et musicienne québécoise Elisappie Isaac, Rosemary Georgeson sur le rôle des femmes dans le monde de la pêche sur une île de Colombie britannique, Helen Haigh-Brown, Zoe Leigh Hopkins, Tasha Hubbard, Sandra sunrising Ozawa, poète et cinéaste makah, Lisa Jackson et le collectif Embargo, l’enfant de Kahnasetake et mohawk Sonia Bonspille Boileau (Le dep)…
Le terrain légendaire est l’occasion de mixer conte, fantastique, effets spéciaux voire expérimentations, de l’île de Pâques au Corazon del tiempo des Mapuches, en passant par l’énorme succès international d’Atanarjuat la légende de l’homme rapide en 2001 de l’inuit Zacharias Kunuk. Le septième art permet de matérialiser une autre notion du temps, de l’espace dans une mystique et une conception du monde radicalement différentes. Partout les télés communautaires, ateliers et collectifs se multiplient, du Québec (Wapikoni mobile avec par exemple le jeune Real Junior Leblanc) aux projets Promedios au Mexique, chez les Mapuches, les Lakotas, au Brésil…
Le cinéma d’animation est ainsi très répandu car il permet de traduire les mythes et récits de création du monde mais aussi de développer une veine plus contemporaine (la série By the rapids, l’agit prop du cherokee Joseph Erb) notamment au sein du Nunavut Animation lab (Alethea Arnaquq-Baril réalise Lumaajuuq, 2009) mis en place par l’ONF.
Aujourd’hui, le grand empowerment général se traduit sur les chaînes youtube communautaires, dans les films de genre fauchés d’amateurs (Rodrigo Pocowatchit, Red hand). Mais c’est surtout le collectif satirique 1491’s qui fait du rire, du mauvais goût et de l’absurde de nouvelles armes politiques, en passant à la moulinette tous les aspects de la vie indienne dans d’hilarantes vidéos qui triomphent sur la toile.
Cette capacité à s’approprier les moyens de communication les plus contemporains est bien la preuve d’une prise de conscience de l’efficacité du langage audiovisuel pour la défense des droits et la transmissions des valeurs indiennes, à commencer par l’amour et l’humour.