Ouzbékistan, des soviets à la solitude collective

L’Ouzbékistan est la plus prolifique des républiques d’Asie centrale ! Si les premières projections ont lieu dès 1897, le cinéma ouzbek débute dès les années 20, ce qui en fait le plus ancien de la région.

DATE :
31 octobre 2019
HORAIRES :
19H30 > 21H30
TARIFS :
3 euros / Gratuit pour les adhérents

INTERVENANT :

L’Ouzbékistan est la plus prolifique des républiques d’Asie centrale ! Si les premières projections ont lieu dès 1897, le cinéma ouzbek débute dès les années 20, ce qui en fait le plus ancien de la région. Ceci dit il est peu implanté au niveau local. L’histoire est généralement scindée en deux périodes : des débuts en 1924 à la chute du communisme en 1991 et l’ère de l’indépendance ensuite.

Dès son origine, le cinéma devient très vite un outil de propagande et accompagne l’installation des communistes au pouvoir. On retient les figures de Nabi Ganiev ( Takhir et Zoukhra 1946), vu dans le monde entier, un Roméo et Juliette adolescent en costumes tourné dans la foulée du tournage d’Ivan le terrible et resté célèbre pour les superbes images du grand chef- opérateur Daniil Demutsky (La terre). L’autre fondateur c’est Kamil Jarnatov (Loin sur la frontière, 1931, ou en 1946 Alichar Navoï consacré au grand poète du même nom). Tachkent devient pendant la guerre le plus grand centre de la production soviétique (devant Alma-Ata !) : y travailleront les Loukov, Protozanov, Romm, Zarkhi et Kheifitz) et l’Ouzbékistan une terre d’accueil. Ce qui signifie à la fois échanges et ouverture sur le monde…

Les thèmes politiques restent prohibés mais peu à peu les films sont tournés en Ouzbek et traitent de sujets ou de figures locales souvent féodales et en prise avec les évolutions de la nouvelle société soviétique après la révolution, avec l’éternel conflit entre modernité et tradition. Durant les années 50 arrive la génération des cinéaste nés durant les années 30 avec Shukhrat Abbosov avec Mahallada Duv-duv Gap (1960)ou Tu n’es pas orphelin (1962) sur une bande d’enfants réfugiés de guerre et adoptés par une famille ouzbek ou encore le sublime Tachkent, ville du pain (1967). On peut également citer Latif Faïziev qui réalisera une douzaine de films dont la très belle épopée historique L’étoile d’Ouloug-bek en 1964.

Tendresse

Plusieurs comédies auront ainsi les faveurs du public ouzbek et se feront remarquer à l’étranger Maftuningman,(1958) une comédie musicale réalisée par le duo Yoʻldosh Aʼzamov et A. Akbarho’jayev ou Shum bola (1977) comédie d’aventures dont le héros est un enfant.

Mais le grand virage dans le cinéma ouzbek vient avec Elier Ishmukhamedov et Tendresse (Nezhnost ‘, 1966), le grand classique de la Nouvelle vague, un récit d’amours déçues adolescentes d’une belle liberté formelle. Ichmoukhamedov réalise sur le même thème en 1982 l’intéressant  Jeunesse d’un génie et en 1969 Les Amoureux.

L’homme qui suivait les oiseaux

Mais le renouveau va venir aussi du plus grand cinéaste Ouzbek, celui des fulgurances plastiques et de l’amour du cinéma, Ali Khamraev avec Où es-tu ma Zulfiya ?, puis les cigognes blanches, blanches (1966), une fable dans un village aux traditions ancestrales répressives et qui sera sera interdite. Il s’impose réellement avec Sans peur ( 1971) sur la difficile campagne de dévoilement dans un village de 1927, puis Triptyque, (1978). D’une curiosité insatiable et tenant à honorer les commandes d’état, il aura touché à tous les styles. Ce « styliste extraverti » est un magicien du paysage tant ils paraissent enchantés (L’homme suit les oiseaux, 1975). à la fin des années 80, il monte la coopérative Samrkandfilms. Son dernier film Bo ba bu (1998) est un film sans paroles avec Arielle Dombasle.

Le garde du corps

Cinéaste la plus connue du pays, Kamara Kamalova a commencé par les films d’animation en volumes, puis des documentaires. Son premier long-métrage Baie amère ( 1975) traite des relations difficiles entre filles et garçons à la préadolescence durant les vacances d’été. Le sauvage (1990) et Tout était recouvert de neige (1996) ont tourné en festivals.

Le gouvernement subventionnant très largement le cinéma, que ce soit les films les plus populaires ou ces auteurs,  ils vont pouvoir se faire connaître très tôt dans les festivals étrangers, et ce malgré la censure locale.

Baie amère

Aujourd’hui la capitale Tachkent est la métropole la plus occidentalisée d’Asie centrale. Après le démantèlement de l’URSS, on a vu débarquer des occidentaux venus exploiter les anciennes bases militaires soviétiques. Les films tournés après 1990 partagent avec le cinéma kazakh l’appellation de films communistes en l’absence du communisme. Mais là où la forme kazakhe était dictée par les steppes et bien que situé sur la route de la soie vers Samarkand, la culture ouzbèke est dominée par la forme poétique et qui va trouver son équivalent visuel au cinéma.

De nombreux festivals vont également soutenir l’avènement de la génération suivante où se détachent Djakharguir Faïziev (Kammi, 1992) ou Yusup Razykov. Comme Khamraev sa démarche est typique de la culture ouzbek, dans la mesure où ils partent d’une idée visuelle présente dans les motifs des textiles les plus chatoyants. On a vu en occident La danse des hommes (2002) et surtout à Vesoul l’allégorique Paradis des femmes (2000).Très actif depuis, Razykov a réalisé une dizaine de longs-métrages et des séries. Citons encore le très allégorique Mystère des fougères (1992) de Rashid Malikov, déambulation méditative  à coups de longs travellings pour relier la détérioration de la conscience individuelle à celle de la conscience culturelle. Enfin, Zulfikar Musakov rend hommage à Stalker pour une satire de SF «Abdulladzhan, dedicated to Steven spielberg » (1991), qui a reçut le prix du meilleur film Ouzbek. On n’oubliera pas non plus Veld film historique dystopique de Nasim Tulyakhodzhayev qui adapte Ray Bradbury pour un des résultats les plus étranges de la science-fiction soviétique.

Abdullazhan

Dans les années 2000, alors que quelques salles de cinéma résistent encore à Tachkent, Zulfikar Musakov fait un triomphe au box office local avec Boys in the sky (2002), battu par sa suite. Il s’agit d’une évocation nostalgique et bouffonne de la jeunesse sur ton proche d’Amarcord mais en beaucoup plus mélancolique.

Aujourd’hui, les productions commerciales tournées à la va vite en vidéo envahissent le gros de la production. C’est dans les marges qu’il faut aller débusquer les artistes les plus radicaux comme Saodat Ismailova, artiste contemporaine inspirée par les mythes et croyances multimillénaires et qui tisse des liens avec le présent, en prenant en compte la dimension spirituelle et en mettant l’accent sur les femmes (Aral, fishing in an invisible sea, The haunted, court-métrage de 2017).

Entre la diffusion extrêmement réduite de ce type d’artistes et la domination de produits bas de gammes tournés à la chaîne pour satisfaire le marché local, peu d’œuvres significatives ( à part Parizod en 2012). Le cinéma ouzbek doit retrouver le secret de l’âge d’or pour s’assurer un avenir sur la scène internationale.

Stains of oxus de Saodat Ismailova

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