INTERVENANT :
Lieu
Quézac Voir sur la carte“Le cinéma est le terrain où l’on peut poser autant de fantasmes que d’idéaux”
S’il avait prénommé « Bonheur » un des jeunes hommes de passage de son premier long-métrage, on pourrait, plagiant Guitry, le rebaptiser « Désiré ». Ou mieux « Désirant », voire même « Désireur », sa principale inclinaison. En réalité, si la comédie s’est invitée souvent dans son œuvre, c’est parce qu’elle surfait la petite musique des sentiments, créant des adaggios de troubles, réactions embarrassées et gros lots de péripéties.
Ce marseillais d’origine n’a que peu à voir avec feu son ancêtre Fernandel, sauf peut-être lorsque son faciès de Pinocchio s’allonge et que l’accent point derrière quelques éraillements. Car parce que le coeur selon Mouret est élastique, le corps se plie à toutes les acrobaties, pendant que mise en scène et langage semblent s’étonner d’autant de turpitudes humaines. Travaillant en orfèvre tous ces petits et grands décalages, Mouret prend en outre le risque de la mélancolie. L’embrasse. Et nos éclats de rire s’étranglent volontiers d’émotion au fur et à mesure que l’on s’attache à cet ovni dont la silhouette propose ça et là des alternatives à Tati, Keaton, Kaurismaki, Jim Carey et autres cohortes d’échalas mutiques, de timides déguingandés aussi séducteurs malgré eux qu’en pleine croissance libidinale ; même si son esprit campe lui dans la perplexité philosophique… Il en résulte un verbe toujours imagé, fécond, habité par un jeu, résolument antinaturaliste, presque enfantin et toujours bien disposé. Enfin, jamais pesants mais plutôt osés, doubles-sens et symboles abondent, dans la meilleure des traditions de l’âge d’or.
Conséquence du confort et de la douceur, le cinéma de Mouret est peuplé d’un grand nombre de très beaux personnages féminins, jolies jeunes filles peu farouches mais très difficiles, versatiles : colloc avenante, petite vendeuse de maillot au rire coquin, touristes en floraison, actrices de tout niveau et même fille de président ! Toutes incomplètes, toutes en quête. Conjointe, meilleure amie ou confidente côtoient donc les coups de coeur inaccessibles face à une si grande lucidité de son inconscient qui n’égale que la distance que ses personnages prennent avec les situations et les choses. Sa courtoisie naturelle se moule alors dans les caprices d’autrui. Il paraîtra faible, il n’est qu’à moitié absent. Jusqu’à ce que se fasse à plus de 45 ans l’apprentissage du mensonge ultime, le consensus de la vie sociale et maritale qui ne trompe personne et ne fait plus rire, mais peut rendre déchirant un Edouard Baer libertin.
C’est à la note comique, fut elle pathétique, que nous nous accordons aujourd’hui pour interroger ce qui nous fait vibrer la glotte et chatouille nos zygomatiques. Ce qui détonne.
Emmanuel Mouret écrit pour nous en un alphabet vivant la meilleure des comédies contemporaine, où l’onde de rire se répand entre les pulsations et respirations de notre humanité.